On était si bien au bord de cette rivière. Il faisait chaud. L’ombre des saules, la fraîcheur de l’eau nous rafraîchissaient. Nous étions si bien. Je sais, je me répète. Mais comment ne pas le faire ? Ta main jouait avec l’herbe. J’aimais la regarder avec ses doigts blancs tressant des brins d’herbe que tu lançais dans l’eau. J’ai eu cette idée folle. Oui, je m’en veux. Je m’en voudrai toujours, c’est l’unique certitude qui m’habitera maintenant. Je t’ai dit que tu ne pouvais pas lancer à l’eau la tresse d’herbe sans faire un vœu. Tu m’as regardé, amusée avec dans les yeux cet éclat espiègle qui te caractérisait. Tu te souviens ? Quelle question stupide ? Tu as fait le vœu. Celui de rester jeune, belle à jamais. « Comme les poupées de mon enfance », as-tu ajouté. Cela m’a fait sourire car ta déclaration était forte, authentique, chargée de plein d’espoirs. La tresse d’herbe est tombée dans l’eau, le courant l’emportant, sans que nous n’y prêtions attention. La nuit est arrivée. Nous sommes rentrés. Tu étais fatiguée, détendue. Nous venions de passer une belle journée. Ce fut la dernière. Je vis dans le rêve de ce moment passé. Depuis, j’ai jeté tant de tresses d’herbe dans l’eau de la rivière. J’ai remonté son cours maintes fois à la recherche de ce nœud où le temps s’est tordu pour modifier ta vie, notre vie. Je marche encore vers ce lieu que je désespère de trouver. Tu m’accompagnes bien que tu ne sois plus là en ma compagnie. Tu es toujours dans mon esprit. Seul, je sais que ma quête sera longue, parfois je m’effondre devant mon impuissance mais il faut que je lutte pour toi, pour nous. Je dois trouver le lieu où les choses ont été modifiées. Il y va de ma survie devant tes yeux fixes, tes mains tendues avec leur raideur immobile, incapables d’attraper le vide qui se tend à elles. Souvent, si souvent, toujours, je m’accuse de t’avoir demandé de faire ce vœu stupide. Pourquoi as-tu souhaité être transformée en la poupée de ton enfance ? Quel plaisir as-tu espéré trouver ? Regarde ce que tu es devenue ! Croiser ton regard est un supplice. Ton absence figée est une abomination. Le pire est que tu continues à sourire. Je n’ose croire que dans ta prison de plastic, tu trouves encore assez d’espace pour avoir des sentiments ou la foi dans un vœu qui t’amènerait à changer de statue, d’attitude ? Tu es là, posée sur un meuble, comme un objet dont on retire parfois la poussière. Tu pourrais tout aussi bien être au fond d’un placard, cela ne changerait en rien ton attitude. Il m’arrive parfois d’avoir cette idée folle de te jeter à la rivière, de me débarrasser de ton encombrante présence. Ce qui me retient ? Cette espérance que tu as encore un cœur, une âme, toutes ces choses qui te différencient de la poupée de ton enfance. Je sais, c’est absurde. Ton vœu ne m’a laissé qu’une absurdité pour dernière trace de ton amour.