Comme la nuit s’était étendue sur des plaines repues. Que la brume renvoyait les soupirs de ces terres humides. Je respirais l’imaginaire blanc de vestiges d’un ancien vide. Porteur des ultimes tremblements du jour et de leurs odeurs. Nous étions maquillés des oripeaux de plumes de corbeaux. Noirs sous l’emprise féconde d’une aspiration profonde. Nos doigts noués entre tous, le regard absent. Dans la nuit que nous allions découvrir. Sur des chevaux frénétiques trépignant de la parcourir.
Au-delà des marais verts et de leurs nénuphars. Endormis sur un tapis d’eaux stagnantes. Par-delà les montagnes éblouies et leurs neiges transies. Toboggans sur lequel glissaient des aigles et leurs fientes. J’ai parlé à leurs oreilles inattentives. Murmurant des mots qui ravivent. Les langueurs de nos nuits corrosives. Plus légères que les insomnies triomphantes. Peuplant le cimetière d’espérances inabouties. Pendantes et en lambeau sous les sabots de nos chevaux en folie.
Nous parlions entre nous des langues inexpressives. Acceptant l’absence de sentiments sur nos visages. Pour apprivoiser la mélancolie de nos pensées inattentives. Ou domestiquer les peurs de futurs radotages. J’ai pendu à une corde le vent et le temps. En laisse surveillant nos enfants. Les accrochant derrière nous à la queue de nos destriers. Nous bel équipage aux écumes vaporeuses. Corsetées de fils bleus et tissés. Sur le velours de nos capes radieuses.
Pourfendant l’opacité de forêts argentées. Où s’essoufflaient des faons et d’autres orphelins. Sur le tapis de feuilles orangées. D’un automne indien et de ses parfums. Dopant nos chevaux à l’éther d’airelles embaumées. J’ai à mes lèvres porté ce calice ailé. Goutant le nectar sophistiqué dont je me suis abreuvé. Sous le regard narquois d’hiboux et de quelques chouettes. Commères, pire parfois d’abominables mégères. A la pensée corrosive toujours armée d’une baïonnette.
Nous nous sommes enfuis vers des clairières lunaires. Ces trouées dans les forêts de nos âmes et de nos chimères. En regardant la lave couler des torrents et des rivières. J’ai eu l’envie de m’endormir, de courtiser ce soupir. D’un crépuscule ardent aux reflets d’argent. Il m’aurait apporté l’exil d’un temps flamboyant. Loin de cette cavalcade sans fin. Mais il n’y avait entre mes mains que la tristesse. Et l’impuissance corrosive d’un présent et de ses intenses faiblesses.
J’ai pensé à nos regards ébahis de nos premiers galops. Coupant la pénombre avec le tranchant d’un couteau. Fonçant vers un interdit aux multiples facettes. Nous avons côtoyé l’exquis de mes envies. La complicité de nos addictions violettes. En charmant nos spectres las et guéguerres. Nous ces hussards au sabre fier. Sans lien, ni regret, filant vers un azur sanguinaire. Cette impasse où le nocif nous attend et nous enlace.
J’ai invoqué les soleils des jours passés. J’ai piétiné notre absolu par fatalité. Soufflant dans un pipeau les premières notes d’un requiem. Sous l’œil narquois d’une nostalgie ingénue. Ne recevant en écho que le jet d’un anathème. Pendant que parmi les labours de cette fuite éperdue. Ont été ensemencées les graines de notre mélancolie. Qui pousseront plus tard sous les soleils noirs. Des nuits de bohèmes de nos désespoirs.
Alors dans un ultime stratagème. Au galop nous sommes rentrés sur nos chevaux. Pendant que se levait un matin blême. Sur l’horizon étendu de plaines repues. Nous avons franchi les portes des écuries. Sanctuaires où prospèrent les spectres de nos enfers. Pères de nos faiblesses, de nos extrêmes. Notre nuit s’est endormie sous des chrysanthèmes. Intimidé et frêle, pour la première fois, j’ai osé te dire « je t’aime ».