Il y a au milieu des bois, sur le sommet d’une montagne, une haute tour. Son toit crève le ciel, le doigt dressé d’une provocation à l’enfer, à la terre entière. Beaucoup s’acharnent dessus, les orages de l’été, les neiges de l’hiver. Ils n’ont pas eu assez de forces pour la briser, la faire plier. Elle est là, depuis des siècles, résistant aux maux des hommes, aux attaques du temps. On ne sait plus qui l’a construite. On ne sait plus grand chose d’ailleurs. La légende rapporte que les loups, en bande, venaient se coucher à ses pieds. Que des hommes sont morts sur le pas de sa porte. Ils voulaient entrer, se protéger, fuir la tourmente de neige qui les glaçaient. Ils se sont endormis morts dans le froid de l’hiver. La porte de la tour ne s’ouvre qu’à ceux qui en possèdent la clé. Ses fenêtres ne s’éclairent jamais. Il paraît que des pèlerins perdus dans la montagne l’ont vu étinceler dans le lointain. Cette lumière les a sauvés, évitant de s’égarer. On raconte tant de choses comme l’histoire de cette femme qui vivrait recluse depuis des siècles. Certains affirment avoir vu son visage regarder au travers des vitres implorant, tendant la main. On dit trop de bêtises. Je ne suis pas venu te les raconter. Je ne voudrais pas te lasser. Je suis là pour t’annoncer que j’en ai reçu la clé. Je peux ouvrir la porte. Ensemble, nous pouvons grimper l’escalier de la tour qui monte tout en haut des étoiles, si loin que la terre, la mer, le ciel ne feront qu’un. Tu me prends pour un fou. Je le sais. Comment te convaincre du contraire ? J’hésite depuis si longtemps à te l’annoncer. La clé est tombée du ciel, envoyée par les derniers qui sont montés. Ils l’ont jeté comme le bâton d’un relais qu’ils voulaient nous transmettre. Regarde, elle est entre mes mains. Petite, fragile, je l’aurais pensé plus impressionnante, à la taille du cadeau qui nous est fait. Pourquoi, ne veux-tu pas la voir ? Elle nous offre l’éternité. Elle est le plus beau présent que nous puissions recevoir. Tu doutes de moi. Tu doutes de toi. As-tu peur de ma proposition ? Je ne sais pas si tu me prends pour un fou ou si tu crains de passer l’éternité à mes côtés ? Tu ne sais pas si ton amour aura cette force. Tu as peur, je le sens, le comprends. Tu n’hésites plus. Tu rejettes ma proposition. Je ne peux te haïr malgré le mal que tu me fais. Tout va si vite. Le choix que je te propose te dépasse. Te place dans une impasse. Tu refuses de remonter avec moi les escaliers du temps. Tu ne veux pas vivre ta vie à l’envers sans savoir ce qu’auraient pu être tes nombreux autres matins. Tu avais des projets pour nous deux. Je ne les ai pas écoutés. Je ne te parle pas d’avenir mais de passé. Comme si je doutais de nos lendemains. Comme si j’étais paralysé d’affronter notre avenir ensemble, main dans la main. Cela te fait peur, plus que tout. Tu ne m’a jamais pris pour un fou. Tu refuses car par ma faute, tu ne crois plus en nous.