J’ai dans les yeux des images d’hier. Sans parvenir à me souvenir. Sont-elles noires ou rousses ? Ont-elles encore des saveurs ou des odeurs ? Amères, je les imagine diffuses et douces. Une tendresse, un attachement à leur totem. Elles sont ce qui me reste des choses que j’aime. Cette sensations guide mes pas sur la plaine de neige. En ce soir de pénombre qui me protège. Des lumières vives d’un jour que j’abhorre. Je progresse dans cette mélancolie que j’adore. Puisant dans l’inutile ce sentiment fragile. D’être une particule invisible et inaccessible.
J’ai dans les yeux des images d’hier. Les traces de mes pas sur la plaine de neige. Le vent, le froid, les hurlements des chiens, cet absolu. La morsure du temps, mes sens pris en étau dans un piège. Nu et sans abri dans la futilité de mes empressements. J’oublie comme si la présence de ce rien n’enfantait que des poussières. En faisant semblant de n’être qu’une variation particulière. Un fragment inutile et suranné posé de manière intemporelle. Sur la voie lactée de promesses infusées et immatérielles.
J’ai dans les yeux des images d’hier. Tristes et éblouies. Chapardant au vide ce qui nourrit son vertige de l’infini. Se protégeant derrière un voile mystérieux. Dressé devant mes pas lents et paresseux. Cette façon d’hiberner qui me protège. En laissant des traces sur la plaine de neige. Comme des petits cailloux pour un jour revenir. En arrière dans cette tentation de se souvenir. D’un temps embaumé que l’on ne pourra retrouver. Mes rêves sont les mensonges que j’aime fabriquer. Pour ne pas éroder ce fil avec le passé.
J’ai dans les yeux des images d’hier. Elles m’habitent, me hantent, résistent. Fières elles refusent de se laisser aller, de mourir. Refusant la nouveauté de ces journées. Vécues pour oublier et expurger. Ensevelir ce qui ne sera plus jamais. Une progression immaculée sur la plaine de neige. J’abrège ce temps en me grisant du froid et du vent. Fouettant le visage et les sens en flagellant. Ma mémoire qui hurle parfois de désespoir. En projetant ses fantômes crépusculaires dans le noir.
J’ai dans les yeux les images d’hier. Tous ces pas lents si souvent s’en allant. Sur la plaine de neige vers des cimetières. Transfuges d’un passé ou d’un présent. Liens entre ce qui fut et ce qui est. Dans l’immobilité et la volatilité de tant de sentiments. Une rébellion, une soumission, de la frustration. Et cet espoir qu’au bout brilleront des soleils. Chauds à nul autre sans pareil. Comme une promesse dans l’allégresse. D’abandonner ces regrets au fond d’ornières. Avec dans les yeux embués les images d’hier.