Un miroir. S’approcher, regarder, avoir peur, hésiter, reculer, douter, s’inquiéter, s’effondrer. Craindre son image, ce qu’elle est devenue, ce corps qui a changé, s’est modifié, métamorphosé. Souffrir, pleurer, mais ne rien pouvoir y changer. La peau plus tendre, plus douce, fragile, légère comme le vent. Ressentir, trop, tout, avec tant d’émotions, les larmes prêtes à couler pendant que le ventre se tord, que la douleur déchire les entrailles. Vivre le moment des millions de fois alors que d’un clignement d’yeux le temps s’est arrêté. Maîtriser, bloquer, les aiguilles des minutes, des années pour chercher à comprendre cette nouvelle vie où tout n’est que sensations sans explication. Donner un sens au sacrifice. Devenir un ange. Etre un ange. Savoir, comprendre son corps pour conserver l’espoir ; un espoir.
Un miroir. Oser l’affronter, s’opposer, trouver, donner à l’âme une identité. Des yeux qui vont se regarder dans un reflet sans pitié. Des yeux qui craignent ce moment. Quelle âme vont-ils pénétrer ? Sont-ils prêts à plonger au fond de l’humanité, loin, si loin que les dates s’effaceront, balayant les heures du temps, l’histoire des années, pour ne plus retenir que les cendres de ce méandre. Pourtant, restera cette lueur si particulière qui module les couleurs, donne au noir ce gris qui laisse encore une place à l’espérance. Oui, croire qu’un ange possède, a une existence qui n’est pas que solitaire, noire ou misérable, qu’il lui reste l’espoir.
Un miroir. S’avancer, se redresser, lutter, ne pas succomber, résister, se regarder pour accepter, mener le grand combat de la vérité. De longs cheveux noirs, des boucles brunes tombant en cascade sur des épaules à la peau blanche, si blanche comme la première neige d’un matin d’hiver. Ne pas en avoir peur, ne pas trembler, ne pas avoir froid. Juste frissonner. Des veines à fleur de peau, un cœur qui bat lentement, imperceptiblement, se ménageant pour les milliers d’années qui rythmeront les pulsations de sa vie à venir. Les mains qui touchent le visage aux lèvres rouges sang, qui aiment ce contact doux et délicat, qui se sont embellies par le contraste du carmin avec la blancheur de doigts fins et délicats. Glisser les mains sur les yeux, pour les protéger, les apprivoiser. Une dernière fois, les laisser baissés avant de définitivement les relever.
Le moment de vérité.
Les doigts se sont écartés. Le regard a percé. Vif et doux, tendre et violent, aimant, ardent. Balayées par le souffle du temps, les joies et les souffrances sont apparues avec une fragilité qu’une larme laisse échapper. Se reconnaître, sans vraiment savoir qui l’on est, ce que l’on est devenu. Chercher dans ce regard une trace de ce que l’on a été, avoir la sensation de ne rien y trouver mais savoir pourtant qu’il reste quelque chose, une part de soi qui ne s’est pas envolée, qui a résisté. Lutter pour la retrouver, pour exister, ne pas sombrer. Se raccrocher à la chute d’une larme, chercher dans son éclat un reflet, un dernier reflet de ce que l’on a été. Ensuite, il n’y aura plus rien à y puiser. L’ange est né pour sauver son père. Dans son dos, les ailes ont poussé. Il a beau les replier, les cacher, son corps est à jamais marqué, déformé, sa vie métamorphosée. Il a donné pour protéger, épargner. Changer pour avoir aimé et continuer à aimer. Le choix a été fait. Ethel, c’est ta vérité.
(Ce texte est la préface de mon nouveau roman et la suite du premier présenté sur ce site)