Tu as si longtemps vécu dans cette maison que tu en as pris ses couleurs, sa tristesse, sa vieillesse. Des pièces sans lumière derrière des volets de bois élimé où rien ne passe dans une oppressante intimité. Pour te cacher, ne pas effrayer, paniquer. Tu as si souvent erré dans l’escalier aux marches usées. Pour te faufiler, t’esquiver, t’effacer. Sans but, passant comme une ombre de chambres en chambres, du premier au salon du rez de chaussée. Pour respirer, ne pas asphyxier, ne pas suffoquer. Tu es entrée dans leurs vies sans te faire remarquer. Pour ne pas les gêner, les offusquer, les crisper. Ils ne t’ont pas vu, juste sentie, parfois imaginée. Pour s’inquiéter, douter, s’interroger. En haut, tu t’es réfugiée dans le grenier durant de longues années. Pour ne plus exister, te faire oublier, les respecter. Ils ont vieilli, accepter ta présence, appris à vivre avec avant de s’éteindre chargés de ce lourd secret. Pour ne pas le révéler, apeurer, terrifier. La maison ne s’est jamais vendue, elle te ressemble, tu lui ressembles en sœurs jumelles, tu n’as d’autre part où aller. Pour exister, te terrer, t’enfermer. Entre ciel et enfer, dans le purgatoire de ce voile fantomatique qui te recouvre, tu es perdue dans les limbes de ton lourd passé. Pour avoir aimé plus que de raison, pour avoir adoré au point de tuer, pour être allé jusqu’à la dernière extrémité. Un jour tu seras délivrée. Pour t’envoler, te recroqueviller dans les bras de ton bien aimé.