J’avais juré que jamais je ne passerai devant le château, depuis ce jour où tu as fermé sa porte définitivement. Il y a longtemps, dix ans, peut-être plus ? Il y a neuf ans, dix mois et sept jours exactement. Je ne peux pas faire semblant, en parler avec détachement. Cela m’est impossible pour tous ces souvenirs que nous avons avec. Ses murs sont les livres de nos plus belles années. Ses fenêtres, nos premières ouvertures sur le monde. Nous y venions l’été. A cette période où tout est plus facile, les jours longs, les nuits douces. Ces images sont les temps langoureux d’été infinis. Elles se préparaient par cette route longue des vacances pour le rejoindre. On se racontait des histoires pour mieux franchir sa grille, pénétrer dans son imaginaire. C’était le notre, des escaliers qui grincent, des portes closes, des grandes salles, ce froid du dernier hiver se détachant en lambeau sous les assauts d’un été flamboyant. On ouvrait les fenêtres, poussait les volets; la lumière s’installait pendant que nous retirions les draps recouvrant les meubles. Combien de fois l’avons nous fait ? Les années passant les salles sont devenues moins grandes, les escaliers moins hauts mais la magie opérait toujours. Jusqu’à ce jour où nous avons fermé sa porte définitivement. Sur l’instant, on ne nous a rien dit. On a pas eu à lui dire au revoir car nous pensions revenir comme de coutume. Sauf, que plus loin sur la route du retour au détour d’un virage, dans ce lieu où il y avait une maison rouge, du sang de l’abandon, nous avons appris qu’il serait vendu. Le château allait nous quitter. Nous vivons encore, aujourd’hui, avec cette cicatrice béante, plus profonde que tous ces autres étés passés à traîner sans but, plus douloureuse que ces souvenirs d’une époque révolue, nous pensons toujours à lui. Qu’est-il devenu ? Il est toujours vivant dans notre mémoire. C’est pourquoi, j’ai renié ma promesse et suis venu le voir. Ses portes, ses fenêtres sont closes, comme si personne le les avait ouvertes depuis notre départ. La rouille s’est installée sur la grande grille d’entrée. Des herbes folles poussent dans la cour devant les garages aux portes de bois sculptées. Il attend désœuvré. Je me suis approché. J’aurais voulu pousser la grille, ouvrir la porte, sauter sur les premières marches de l’escalier qui grince, monter comme un fou dans les étages, ouvrir les fenêtres, faire comme avant. J’étais en mesure de le réveiller. A cet instant, j’ai pris conscience que je n’en ai plus la clé, le précipitant pour toujours dans le cimetière de ma mémoire.