Ce matin, la gelée est tombée. Sur les champs et les près. Ce matin, la gelée s’est allongée. Sur les herbes glacées. Craquant sous les pieds. M’en allant te retrouver. Je sais. Que tu m’attendais. Patiente, frigorifiée. Depuis toutes ces années. Je ne veux pas t’humilier. Je vais d’un pas pressé. Pour t’éviter. De t’impatienter. Dans la tête le requiem embrumé. D’un souvenir embaumé. Le notre, presque oublié. Emporté. Par la rivière venue charrier. Le bon et le mauvais. Entre des rives canalisées. La regardant nous le voler. Sans pouvoir s’y opposer. Ce matin, la gelée est tombée. Pour aviver. La plaie. De nos cœurs marqués. Entravés par la fatalité. De devoir s’effacer. Face à la destinée. Sans pouvoir rien empêcher. Je viens te retrouver. Proche de cette rivière qui t’a emportée. Sans visage, rien à se raccrocher. Dérivant vers l’infini abimé. Sans croix pour se rappeler. Le vide pour imaginer. Tes sourires, nos délires atrophiés. Sous le poids des années. Voilées de s’être égarés. Je suis mortifié. Devant cette impossibilité. De mettre un visage sur le reflet. Du miroir des eaux pressées. Que je suis seul à regarder. Cherchant à te parler. Te dire mes regrets. Je crois que tu peux les écouter. J’ai besoin de le penser. Pour ne pas culpabiliser. Lutter après toutes ces années. Ce matin, la gelée est tombée. Sur la tombe de notre passé. Il le fallait. Pour voiler les couleurs élimées. Cette fatalité imposée. D’être séparés. Toi, dans un monde que je ne peux imaginer. D’où tu dois me regarder. Peut-être me juger ? Je ne t’ai pas oubliée. Cela tu ne peux pas me le reprocher. J’aime te rechercher. Porté par la mélancolie d’un temps effacé. Où l’on aimait. Se retrouver. Dans les champs et les près. Au bord de la rivière, les pieds mouillés. A regarder flotter nos projets. Les laissant dériver. Sur les bâtons que nous avions jetés. Pour les transporter. Les tiens allaient. Plus loin que les miens, une fatalité. Je t’enviais. Un jour, je n’ai pas oublié. Tu es partie les retrouver. Ce matin, la gelée est tombée. Sur les champs et les près. Ce matin, la gelée s’est allongée. Sur les herbes glacées. Craquant sous les pieds. M’en allant te retrouver. Je sais. Que tu m’attendais. J’ai encore la force de l’espérer.