Je te cherche depuis si longtemps. Depuis mon départ, depuis ce jour sombre où je t’ai abandonnée. Te laissant seule avec tes doutes, tes rêves, prisonnières de tes incompréhensions face à ce monde qui te terrifiait tant. Parti courir au-delà de ces limites dans lesquelles tu t’emprisonnais un peu plus chaque jour, je me suis enfui. Pour ne plus te secourir, m’échapper de ta folie qui paralysait mes sens, bloquait ma respiration, étouffait les mots sur mes lèvres. Je suis parti pour un ailleurs où la vie n’est pas aussi compliquée qu’avec toi. Elle était devenue infernale. Je ne la supportai plus. Je me suis éloigné sans me retourner; trouvant la force dans chaque nouveau pas de ne pas regarder en arrière. Je ne sais pas si tu m’as vu m’éloigner. J’ai marché puis couru. A perdre haleine. Je me suis arrêté loin, si loin que je ne savais plus où j’étais. Il faisait jour ou nuit dans cette grande forêt où je me suis effondré. Je ne me rappelle plus. Je me souviens des étoiles qui dans le ciel se levaient. Elles brillaient de cet éclat que j’avais oublié. Avec toi, il y avait tant de noirceurs dans notre vie. Je faisais semblant de ne pas les voir. Par faiblesse, pour espérer qu’un jour tu soufflerais sur les nuages de notre cimetière. Tu ne l’as jamais fait. Au contraire, tu as attisé les braises consumant le fil qui me reliait à mes dernières illusions. Au milieu des loups, des fantômes de notre vie passée, je me suis allongé entre les arbres de la forêt. Leurs squelettes décharnés ne m’inquiétaient pas. Je n’avais pas peur. Ils étaient moins terrifiants que les épouvantails de ta déraison. Ta folie a réduit les murs de ma liberté. Elle a élimé mes projets, mes journées, mes secondes au point que l’horloge du temps s’était arrêtée. Je ne suis pas libre maintenant. Heureux ? Pas vraiment. Fort d’un sentiment. Celui d’avoir réalisé quelque chose que je me devais de tenter. Celui de t’abandonner. Pour moi. Pour toi. Je ne savais plus où nous allions. Oui, il fallait tenter quelque chose. Une course désespérée au-delà des murs de ta déraison. Je sais qu’il le fallait. C’était ainsi que tout devait s’achever. Je le croyais lorsque nous étions ensemble. Est-ce d’ailleurs la bonne expression ? Nous étions proches d’une présence physique. Et encore… Si éloignés mentalement. Le fossé s’était creusé dès le premier jour. Nous ne l’avons pas vu ou feint de l’oublier. Ta pensée m’obsédait. Je culpabilisais à l’idée de t’abandonner. J’ai tant mélangé de choses, m’apitoyant sur moi, sur toi. Pensant à ta faiblesse. Ta détresse. Je vivais . Je ne respirai plus. Je ne mangeai plus. Il y avait en moi cette unique question de toi, de ta souffrance, de ta solitude. Je suis tombé dans la pitié. On n’aime pas avec de la pitié. Je l’ai compris après ces longues années d’errance dans les forêts de mes interrogations. J’ai tenté de te sacrifier sur l’autel de l’oubli. J’ai scarifié ma mémoire pour n’y laisser que le dessin de ma nouvelle vie. J’ai immolé le livre de notre passé détruit. Rien n’y a fait. Plus je luttais pour te rejeter, plus je me rapprochais de toi. Ta folie entrait en moi. Je ne parvenais pas à la rejeter. Je l’appelais. Je t’ai cherchée. Je suis revenu sur mes pas. Pour me faire pardonner, t’aider. Tout s’est mélangé dans ma tête. La confusion de mes pensées, le mélange de mes obsessions, la culpabilité de ton abandon. J’ai crié devant notre porte fermée. Tu ne répondais pas. Tu n’étais plus là. Je suis parti à ta quête dans les recoins les plus sombres de ta pensée. Dans ces lieux où abondent tes démons. Où te rongent tes craintes. Celles qui ont mangé, une à une, tes dernières parcelles de lumière. J’ai caressé les écailles de ta détresse. Celles qui ont éteint les couleurs en toi ne te laissant que le blanc et le noir. J’ai senti le froid glacial monter le long de tes os. J’ai vu cette paralysie se répandre dans tes chairs jusqu’à cette rigidité qui te va si bien. Maintenant, tu ne bouges plus. Tu ne bougeras plus. Ton corps ne t’apportait plus aucune joie. Ton esprit l’avait abandonné parti sur des mers desquelles on ne revient pas. Tu entres dans le tableau peu à peu. Ton visage s’installe dans le décor. Une place t’es réservée pour que tu vives. C’est la première fois que cela t’est offert. Il reste encore de l’inquiétude sur ton visage. La cire n’a pu maquiller tes dernières peurs. Tu as revêtu ta plus belle robe. Tu sembles presque heureuse. Tu ne le seras jamais. C’est dans ta nature. Je te regarde. Il me reste cela. Je ne me sens ni coupable, ni abandonné. Nous étions faits pour nous quitter. C’est ce qui nous a rejoints. Je l’ai enfin compris. Tu n’as plus besoin de moi. Dans ton monde, il y a aucune place pour moi. Dans le mien, nous étions trop à l’étroit. Dors ma belle. Pars en paix.