De l’autre côté de la rue, les fenêtres de la grande maison grises sont fermées par des volets de métal blanc. Des murs gris, une rambarde de fer noire. Elles ne s’ouvrent jamais. La journée, l’animation de la rue, les voitures, les piétons passent devant sans la moindre attention.
Gris, tristes, les murs de cette grande maison sont impersonnels. Elle ressemble à tant d’autres habitations de la rue. Pourtant, un jour, un homme seul est venu y habiter. Il parlait au vent, à la lune, murmurait des choses incompréhensibles. Son pas traînant, était hésitant, comme celui d’un enfant qui a trop vite grandi. Son visage, vieux, avait quelque chose d’enfantin. Ses yeux, malicieux, facétieux, n’étaient pas à leur place sur ce visage ridé.
Avec l’arrivée de la nuit, les lueurs des réverbères, le silence de la lune, des angelots au travers des volets de métal blanc s’échappaient, volant dans le ciel. Pour les voir, il fallait ouvrir son cœur aux mystères de la nuit, entendre leurs cris, leur joie de s’échapper. Quand, dans la grande maison de l’autre côté de la rue, la maternité a fermé, posé ses volets blancs sur ses fenêtres, plongeant les chambres dans un noir profond, les angelots se sont sentis délaissés.
C’est ce jour où l’homme est arrivé.
Il a replié les volets d’une fenêtre, ouvert un œil à la grande maison. Chaque soir, une lumière s’est allumée au plafond d’une cuisine. L’homme mangeait seul, assis à une table, faisant de grands gestes. Dans l’ancienne maternité, les enfants, sans parents, couraient dans les couloirs de la maison. Morts, ils ne faisaient pas de bruit mais le souffle de leurs courses perturbait l’homme prenant son repas. Il se levait, éteignait la lumière, plongeant la grande maison dans l’obscurité
C’était le moment où les réverbères s’allumaient dans la rue.
Au travers des volets, les angelots s’échappaient, se poursuivant dans le ciel, dans la grande récréation de la nuit. Sur les pavés de la chaussée, des chats passaient d’un pas nonchalant, regardant les gamins du ciel se poursuivre. Dans l’église, toute proche, les angelots jouaient à cache-cache derrière les grands piliers de pierres rouges ; appuyaient sur le clavier de l’orgue. La musique montait dans la voute de l’église, réveillant les gens. Chaque soir, c’était ainsi.
C’était le moment où l’homme sortait dans la rue.
Il faisait peur, grommelant, crachant au sol, marchant péniblement, s’appuyant sur sa canne. Il se dirigeait vers l’église, regardant le clocher, hurlant des paroles incompréhensibles. L’orgue s’arrêtait. Le silence revenait. Dans la rue, ses pouvoirs étranges ont fait naître la terreur. Sa maison est devenue celle de la peur. Les gens se sont détournés, évitant de passer devant, paniquant. L’homme l’a ressenti.
C’est le moment où il a décidé de fermer la seule fenêtre ouverte.
La maison grise est maintenant fermée. Les volets de métal blancs sont clos. Il n’y a plus de lumière le soir dans la cuisine. Certains soirs d’orage, les habitants de la rue disent entendre des cris de pleurs d’enfants sortant de la grande maison. Ils sont chargés de détresse, d’abandon. Plus personne n’est là pour les garder.